Le progrès ne s’arrête pas mais il s’accompagne ! La démocratisation de l’usage des technologies numériques et la transformation digitale ont des effets notables sur l’organisation, le management, la culture, le rapport au travail, les échanges, les compétences de l’ensemble des acteurs de l’entreprise, mais aussi chez ses parties prenantes et clients.

La transformation digitale, parfois appelée transformation numérique, désigne le processus qui consiste, pour une organisation, à intégrer les technologies digitales dans l’ensemble de ses activités.

La numérisation arrivée avec l’ère d’internet s’est enrichie de la transformation digitale, qui modifie en profondeur le rapport au travail, en rendant possible des modes de collaboration différents, que le salariat séculaire.

Comme toute chose, il y a du bon et du moins bon… en offrant aux collaborateurs plus de flexibilité, d’autonomie et de participation, à un écosystème ouvert et mondialisé, la transformation digitale peut aussi générer une surcharge d’information, l’intensification et l’individualisation du travail, le renforcement du contrôle de l’activité, des contraintes excessives de réactivité, réduire la frontière entre vie privée et vie professionnelle, détruire le collectif et déshumaniser le management.

Faire émerger des idées, des compétences… et se recentrer sur l’humain, est primordial pour une transformation digitale réussie.

Les impacts de la transformation digitale sur l’individu et le collectif :

La transformation digitale peut contribuer à la détérioration des conditions de travail, d’autant plus facilement qu’elle contribue à développer une culture de l’urgence et de l’immédiateté, en inadéquation avec le cadre, structurel et organisationnel, habituel de travail. La réduction des marges de manœuvre et du temps alloué à l’apprentissage, de prise d’initiative et de reconnaissance pour l’individu, sont autant de causes permettant l’émergence d’une usure professionnelle rapide et l’apparition de risques psychosociaux.

Les entreprises dans leur mode de management et leurs injonctions paradoxales, sont anxiogènes.

Elles restent encore frileuses quant à la mise en place de nouvelles pratiques de travail devenues plus que nécessaires pour ceux qui souhaitent entrer dans l’ère du digital. La régulation du temps et du lieu de travail par le télétravail ou le travail nomade, le travail en réseau avec des collectifs étendus restent encore plus ou moins acceptés par les employeurs et leurs managers.

Privilégier une approche organisationnelle et non fonctionnelle de l’utilisation des outils numériques, met à mal la structure pyramidale de l’entreprise et l’oblige à reconsidérer sa posture et ses pratiques. Cependant, cela permet de mieux anticiper les conséquences en matière de management de l’activité en privilégiant le lien entre conditions du travail et performance. (Voir article de juillet 2017 « Le télétravail, l’entreprise et les collaborateurs »)

La révolution numérique et la digitalisation, nous donne l’opportunité, en sortant de notre zone de confort, de réinventer le travail, de revoir nos modèles de production, de management et nos organisations.

Tous les métiers et les fonctions de l’entreprise sont concernés, avec des effets en cascade sur l’ensemble de l’organisation économique et sociale. Il s’agit de faire preuve d’une extrême vigilance quant aux conséquences de cette mutation sur le travail qui se trouve être tout aussi importante qu’au 20eme siècle avec l’industrialisation ou qu’en 2000 avec l’essor d’Internet.

Dans tout processus de création, il y a un processus de destruction. La révolution digitale se caractérise par une automatisation à très grande échelle, qui interroge sur la place de l’homme dans la production, voire dans la décision. Des métiers très qualifiés ou hautement intellectuels, jusqu’alors préservés, se verront concernés.

Dans un article de 2014 sur « Les classes moyennes face à la transformation digitale », le cabinet en stratégie Roland Berger Consulting alerte sur l’impact de la digitalisation sur la classe moyenne.

« La transformation massive du secteur tertiaire sous l’effet des nouvelles technologies présente un double défi : celui de la compétitivité d’une part, celui de l’adaptation du modèle social d’autre part ».

« Les nouveaux profils valorisés seront différents de ceux que produit le système de formation actuel ».

Alors devons-nous en avoir peur ? Qu’en est-il de la montée de la précarisation du travail ?

L’avenir du travail avec l’arrivée du digital :

Avec l’arrivée de la transformation numérique, certains annoncent la destruction d’environ trois millions d’emplois d’ici 2025… mais elle donne aussi lieu à l’apparition d’une économie de partage, adossée à des organisations du travail collaboratives. (Voir article écrit en octobre 2017 « Uberisation quels seront les nouveaux métiers »).

Dans son rapport « Transformation numérique et vie au travail » de septembre 2015, remis à Madame la Ministre du Travail, Myriam El Khomri, Mr Bruno METTLING, accompagné d’un groupe d’experts, a tenté de cerner l’impact de la transformation numérique sur trois points précis : les conditions de travail, l’organisation du travail et le management puis il a identifié des bonnes pratiques et formulé des préconisations.

Il en ressort 36 préconisations et la conclusion que :

 

  • La transformation numérique est d’abord une chance, une opportunité pour permettre la mise en place progressive de nouvelles organisations du travail plus transversales, plus souples, de nouveaux modes de fonctionnement, plus coopératifs et plus collectifs qui répondent à des maux, à des excès de l’entreprise d’aujourd’hui et d’un modèle taylorien à bout de souffle.
  • Comme toute transformation majeure, elle comporte des risques qu’il convient d’anticiper, de prévenir, notamment via le dialogue social et un effort d’éducation au numérique de grande ampleur.
  • Il est urgent de mettre fin à ce paradoxe qui voit plusieurs millions de salariés de nos entreprises amenés à adapter leur quotidien de travail à la diffusion des outils numériques, sans que cette question n’ait été réellement abordée au niveau national, que ce soit dans le cadre du dialogue interprofessionnel ou des récents débats législatifs.
  • Confiant dans la capacité à définir une voie équilibrée permettant d’adapter le cadre de nos pratiques en entreprise et de notre législation sociale afin que notre pays puisse capter la part de bénéfices (notamment en termes d’emplois) attendus de la transformation numérique.

 

Le Conseil d’orientation pour l’emploi (CEO), créé par un décret en 2005 et rattaché au Premier Ministre, est une instance d’expertise et de concertation sur l’ensemble des questions d’emploi. Le Conseil a publié en décembre 2017 sa dernière enquête tome 3 sur l’« Impact sur le travail : Automatisation, numérisation et l’emploi »  Il met en avant que :

 

  • Il existe un lien positif entre le degré de numérisation de l’entreprise et l’adoption de modes d’organisation du travail dits « flexibles » (travail en équipes autonomes, polyvalence, décentralisation des décisions, etc.) ;
  • Les nouvelles technologies contribuent à modifier les situations de travail des personnes, mais comportent aussi des risques réels ;
  • Le dialogue social constitue le levier essentiel pour accompagner la définition de la stratégie des entreprises ;
  • Les ambitions, le contenu et les outils sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, doivent évoluer…

 

Pour Marie-Claire Carrère-Gée, « C’est aussi un nouveau dialogue sur le travail, son organisation, et son contenu qui apparaît désormais nécessaire dans l’entreprise, y compris dans des domaines déontologiques, voire éthiques, notamment pour que l’automatisation et la numérisation soient au service des hommes et des femmes qui travaillent, non l’inverse. »« Les périodes de grandes transformations donnent lieu à bien des fantasmes et bien des frayeurs aussi. Mais les technologies ne sont qu’un potentiel : c’est à nous de décider de ce que nous en ferons. »

Le numérique et la qualité de vie au travail

Le numérique est un ensemble d’outils comprenant d’infinies possibilités techniques riches de forts potentiels en matière d’interactions sociales.

Ce ne sont pas tant les outils numériques qui feront les conditions de travail mais bien les organisations et les préceptes managériaux au sein desquels ils seront déployés.

Les nouveaux modes de collaborations requièrent une agilité relationnelle d’autant plus forte qu’elle bouscule l’organisation et les limites de l’entreprise.

Développer la créativité, par un usage vertueux des compétences, en dédouanant les collaborateurs des tâches simples mais répétitives et chronophage.

Proposer aux managers, un accompagnement et de la formation sur la manière de piloter les relations sociales dans le but avoué de développer la coopération et l’innovation au sein des équipes.

La connectivité permanente, l’intensité des modes relationnels, impliquent une augmentation voire un sur investissement au travail.

Cette réflexion est d’autant plus lourde d’enjeux pour les entreprises, qu’elle est importante pour la nouvelle génération beaucoup plus encline que celle de ses aînés à accepter l’ingérence d’outils privés dans la sphère professionnelle et inversement.

La principale richesse de l’entreprise est son capital humain. Les ressources humaines sont donc de fait, au cœur de la transformation numérique et de la digitalisation des métiers.

Les outils de communication numérique permettent aux services des ressources humaines et aux managers de correspondre avec les collaborateurs de façon instantanée et représentent autant d’opportunités supplémentaires pour continuer à attirer de nouveaux talents, ce qui est bien… mais utilisés à bon escient, ils permettront aussi de les fidéliser, ce qui est mieux !

Les SIRH ou Systèmes d’Information de Ressources Humaines favorisent les interactions entre collaborateurs et s’imposent comme des vecteurs de réussite dans la démarche de transformation digitale. Encore faut-il que la mesure de la satisfaction, ou de la potentielle insatisfaction des utilisateurs de ces services, soit prise en compte dans l’organisation, notamment sur la qualité de service, l’ergonomie conviviale des outils et le temps de réponse qui en découle. 

Avec le digital, de nouvelles formes d’apprentissage et de formation peuvent être mises en œuvre ou démocratisées au sein des entreprises : MOOC, serious games, mentoring et « reverse mentoring » (ou mentorat inversé) qui désigne des « juniors » qui vont partager ou actualiser certaines connaissances auprès des « séniors » accessibles en E-learning ou en « self-service » (sans attendre l’autorisation du manager), etc.

Des outils d’analyse peuvent aussi être activés afin d’anticiper des situations à risque, et l’usage d’outils d’automatisation de processus administratifs peut libérer les services RH de tâches quantitatives chronophages afin de leur permettre de se recentrer sur leur métier d’aujourd’hui, à savoir, les hommes et les femmes qui constituent la force vive de l’entreprise en ayant une approche plus qualitative, intégrant la qualité de vie au travail.

Il est connu qu’un engagement fort des collaborateurs se concrétise par un meilleur service rendu aux clients et en retour, un engagement plus fort des clients vis-à-vis de l’entreprise. La digitalisation de la fonction RH est centrale pour que les organisations regagnent en agilité et en compétitivité, grâce à une meilleure gestion du capital humain, en disposant d’une grande quantité de données, pour créer davantage de valeur…

La transformation digitale des entreprises engendre souvent une intensification du travail et donc, un risque en termes de qualité du travail et de qualité de vie au travail. 

La transformation numérique invite à :

  • Reconsidérer, pour certains métiers et secteurs d’activités, le lien entre charge de travail et mesure du temps de travail,
  • Mieux protéger ces collaborateurs des facteurs déclencheurs de maladies professionnelles comme le burn out ou le « fear of missing out », (rapport obsessionnel aux outils professionnels de communication),
  • Repenser l’espace de travail, comme un facteur de bien-être et de performance au travail, voire d’attractivité des talents,
  • Mettre en place des dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, comme l’application du droit à la déconnexion…

La France, forte de son expérience passée, comme sa difficulté à adapter son industrie à la vague d’automatisation dans les années 90, doit se donner les moyens de réussir sa transformation digitale.

Celle-ci se fera très certainement dans la douleur, comme souvent sont perçus les grands changements, car il lui faudra affronter et arbitrer sur un certain nombre de blocages de nature culturelle et sociale… mais il en va de son avenir.

Il faut être conscient que nous ne sommes pas tous égaux face à ces nouvelles opportunités. Il y a les « digitaux nés », ceux qui occupent des professions cognitives qui trouveront via la digitalisation de nouvelles opportunités et les autres, pour qui ces nouvelles formes de travail se révèlent surtout profondément aliénantes.

 

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